Réponse à une dame
Il y a un coquillage, posé dans un coin.
Il y a une calotte verte et un masque de chirurgie, ornés de lumières, posés sur un chariot.
Il y a les images des mains : une main de soigné qui tient fermement, mollement, désespérément, calmement, la main d'un soignant. Elles sont imprimées sur un papier si fin – celui dont on se sert à l'hôpital.
- Oh, regarde, ils ont pris le papier qu'on leur avait donné, celui qu'on utilise nous !
- Les mains, c'est beau et c'est dur, dit Éric.
- Parce qu'on sent que ces mains, ces personnes, elles sont veillées.
Il y a le film, qui raconte comment Cléa, Éric et les gens de psychiatrie ont travaillé : une voix hors-champ qui guide sobrement ceux qui, face caméra, tiennent dans leurs mains des feuilles blanches, composant un écran sur lequel on projette une image.
Il y a les images des premiers peau-à-peau entre les mères et leurs nouveaux-nés.
- Je ne sais pas si vous savez pourquoi on est là, ni depuis quand on est là.
Cléa raconte, autant de fois que cela est nécessaire, l'histoire de leur présence au C.H. de Maubeuge. Observer, écouter et implanter dans ce contexte une petite fabrique d'images : comme un presse-fruit qui parviendrait à extraire le jus de l'imagination des uns et des autres, toujours avec patience et délicatesse.
- Voilà, c'est tout.
- Oui mais c'est beau. Par rapport à ce qu'on avait dit, c'est tout à fait ça, commente une sage-femme : les bruits, les mots.
- On vous a beaucoup écoutées, répond Cléa.
- Vous avez besoin de revenir ?
- Pour du son. On pensait au monitoring. Le monitoring, c'est un galop.
- Oui, mais ça n'ira pas. Le premier peau-à-peau n'est pas un galop. - Il y a un médecin qui nous a parlé d'un dictionnaire des bruits du cœur : pour chaque bruit du cœur, l'ouvrage associe un bruit concret – ça servait à l'époque où on avait que ses oreilles pour entendre le cœur.
Sur une table ronde, il y a les cartes postales des lieux où l'on voudrait être : un bateau, un champ, une jetée, une plage, une maison, un stade – des images comme celles qu'on trouve dans les agences voyages.
- Un lieu, c'est toujours une histoire.
Cléa et Éric les ont passées au noir et blanc et les ont recolorées par tâches, échangeant dans cette opération la connotation commerciale des images contre une dimension onirique – n'appartenant ni au passé, ni au réel, elles semblent rendre visible notre imaginaire commun, stock composite qui échappe au champ du commerce.
Dans la salle aménagée en lieu d'exposition, plusieurs dames viennent voir, passent la porte d'un pas décidé, regardent les images les unes après les autres. Elles sont en blouses vertes, en blouses blanches, en blouses blanches aux cols rayés de vert ou de bleu. Elles sont infirmières, aides-soignantes, cadres de santé.
- Pourquoi le Noir et Blanc ?
- Pour l'unité.
- Mais là c'est votre choix personnel.
Cléa explique mais on la coupe.
- Alors moi j'avoue que ça me surprend beaucoup. Déjà les gens viennent à l'hôpital ils ne sont pas forcément heureux de ça, mais alors là, le noir et blanc. Bon, je sais pas, je vous réponds en tant que soignant. Je sais pas, vous, les autres soignants, qu'est-ce que vous en pensez ?
- Ben moi j'aime bien le noir et blanc.
- Oui. Bon. J'entends bien. Je dis ça, c'est pour l'hôpital.
Est-ce qu'il y aura un petit commentaire, à côté des images ?
- Il y a nous, on reste à côté.
- Vous allez projeter ça pendant combien de temps ?
- Une semaine.
- Bon. Moi je trouve ça très noir. En tout cas ça m'interpelle.
Est-ce que noir veut dire : douleur, tristesse ?
Est-ce que la couleur veut dire : gaité, allégresse ?
Est-ce que l'art a pour fonction d'égayer la vie, de nous faire oublier notre condition humaine ?
L'on rencontre quotidiennement des images qui affichent des intentions consuméristes, des images qui véhiculent des messages univoques et idéologiques.
Le travail de Cléa Coudsi et Éric Herbin, ce discret extracteur de jus qu'ils ont discrètement déposé et amoureusement fait vivre au centre hospitalier de Maubeuge pendant quelques semaines, fabrique artisanalement des images qu'ils ont pris soin de relier à leurs lieux de naissance : les imaginaires des gens qui sont passés par l'hôpital et qui ont bien voulu laisser ces images s'échapper de leurs têtes.
Ce sont des images libres.
- Regardez ces écriture, dit Cléa.
On sent tout le tremblé, toute la fragilité. Je ne sais pas ce que vous en pensez vous, mais moi, je trouve ça magnifique.