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Terminus ligne 2

Jean 23 se dresse dans l'odeur du ciment encore frais au terminus de la ligne deux.

Ce jeudi, la masse noire de la terre s'étend en parallèle du ciel : des nuages privés de contours. On distingue mal l'humidité de l'air de l'humidité du sol : tout semble mêmement poisseux et mêmement gris. Dans ces rues construites en bout de ville, les immeubles modernes s'appuient sur leurs rez-de-chaussée de verre. La rue court le long des bureaux transparents. Ici, une dame se penche sur son ordinateur, plus loin on a quitté la pièce en laissant l'écran allumé et la poubelle pleine. À l'embouchure d'un parking de ciment uniforme, mes pas résonnent comme dans une grotte (aigus).

Chez Jean 23, il fait chaud.

Véronique Brunel (danseuse), Marie-Pierre Labro (musicienne), Ludovic (musicothérapeute), Céline (art-thérapeute) et Sophie (AMP) sont dans la « salle de rencontre » en compagnie de trois puis six résidentes. Marie-Pierre chante. Véronique danse. Ludovic est à la guitare, une dame au xylophone.

La surface réduite de la pièce est encombrée de tables, de chaises, de fauteuils. On est proche de la danse et du chant, physiquement et en vibration. La pulsation du temps est lente.

La dame qui tape sur ses lames de métal alterne jeu arythmique et longs silences. Les sons résonnent, orphelins de mélodie. Les mouvements n'appartiennent à rien d'autre qu'à eux-même. Pas de rythme, pas de phrasé. Ludovic à la guitare harmonise discrètement l'ensemble. Un vague spleen flotte dans cette salle qui jouxte un jardin que l'on devine plus froid.

Et puis on se rend compte soudain que Marie-Pierre ou Véronique a attrapé les éléments épars, les a noués et les développe tous ensembles en compositions musicales et dansées.

Véronique attend l'eau chaude, accroupie. Pioche sur la table un sachet de thé, qui se balance silencieusement au bout de son index. Elle le fait tourner plus fort. Elle stoppe le tournoiement du sachet. Le trempe dans l'eau. Boit son thé. Pose son verre de plastique blanc qui a peut-être été déformé par la chaleur. Se lève. Dit On s'en va. Nous tourne le dos pour sortir. Met ses chaussettes. Effectue toujours de dos un léger, très léger, imperceptible pas en arrière. Elle danse. D'abord discrètement, puis franchement. Marie-Pierre, qui était occupée à parler avec quelqu'un, s'arrête pour chanter. Oui. Non. Peut-être. Tic tac. Je ne sais pas. De la même manière qu'au-dehors on ne savait pas distinguer la pluie du brouillard, ici on ne sait pas où la danse se sépare du mouvement, le chant de la parole.

Tout autour, l'assemblée s'est muée en public silencieux.

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