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La statue n'est plus au centre du jardin


Un barnum bleu foncé sert d'accueil.

Alors, ça va ? Il va y avoir de la musique ? J'suis un bon chanteur, moi. J'ai fait du karaoké à l'âge de huit ans, jusqu'à quinze ans.

Soudain le froid agressif se transforme en bruine et s'abat sur nous comme une nuée d'aiguilles. Nous courons vers un abri du vingtième siècle.

Pendant que la guide commence la visite, je regarde autour de moi : Clinique de psychiatrie (100 lits), Clinique d'addictologie. Ces bâtiments datent du vingt-et-unième siècle. Plus loin, sur une façade plus ancienne : Deus Charitas Est.

Nous allons faire une visite dans le temps et dans l'espace, explique la guide. Le site de Lommelet a été créé en 1825, les derniers bâtiments datent de 2013. Aujourd'hui le site fait une trentaine d'hectare, on compte 200 lits. Au début, c'était une grosse ferme entourée de champs, qui pouvait accueillir huit personnes.

Averses.

Nous nous réfugions dans un hall moderne, baigné par une lumière blanche que la verrière diffuse depuis l'extérieur. Grands volumes, dont les hauteurs varient. Murs blancs, sol blanc. Blanc, ou bien crème. Ailleurs : gris très pâle.

Trois résident sont assis sur des chaises de métal perforé, autour d'une table type mobilier public. Les surfaces sont propres et lisses. Pas de plantes, pas d'objets, pas de poussière. Eux portent des manteaux usés, des chepkas, des doudounes. Ils sortent des bouteilles de coca, des ice-tea, des clopes de leurs sacs en plastique match (ou bien en plastique leclerc ou bien en plastique intermarché). Ils ne nous prêtent aucune attention.

L'architecture raconte l'évolution des soins que l'on a donné à la personne qui souffre de troubles psychiques.

Aujourd'hui, tout est en rez de chaussée, les résidents ont accès au parc, à la ville, au patio. Toutes les chambres sont individuelles, avec une salle de bain privée. Et puis le site de Lommelet n'est qu'un élément de l'EPSM de l'agglomération lilloise. On y accueille les habitants de Lille, Villeneuve d'Ascq et des environs. Mais l'Établissement Public de Santé Mentale est surtout décliné en établissements de proximité : la psychiatrie en France, depuis la loi de sectorisation de 1960, est organisée à l'échelle des quartiers.

On est hospitalisé dans tel ou tel endroit en fonction de l'endroit où on habite. C'est aux soignants d'aller vers les patients : on ne vient pas se faire soigner l'esprit aussi facilement que l'on va se faire soigner le corps.

Le mot Lommelet nous parle d'un avant : étymologiquement, il est le lieu planté d'aulnes.

L'aulne: un bois imputrécible que l'on travaille facilement, pour faire des petits objets d'artisanat ou des fender stratocaster. On peut aussi l'utiliser pour réaliser un pont de fortune, en plaçant les tronçons de bois dans le sens courant et en les recouvrant de terre (l'eau passe alors entre les tronçons).

Jean vivait à Grenade avant 1550.

Il fut pris (un jour) d'une grande crise mystique. Passant alors pour fou, on l'hospitalisa. À sa sortie, atterré par la prise en charge dont il avait bénéficié, il décida de fonder l'ordre de Saint Jean de Dieu et de se consacrer à l'accueil des personnes souffrant de troubles psychiques.

Les Frères de Saint Jean de Dieu se sont installés en France au dix-septième siècle et ils ont fondé le site de Lommelet au dix-neuvième siècle.

Avant d'être moines, les moines avaient des métiers. Ils étaient maçons, charpentiers, menuisiers, jardiniers : des bâtisseurs qui agrandirent petit à petit la grosse ferme du lieu planté d'aulnes.

En 1925, on pense que pour être soigné, il faut apaiser l'esprit : on conçoit des bâtiments et des jardins sur un plan symétrique, rectiligne.

En 1925, on pense que pour être soigné, il faut éloigner les patients de leur contexte d'origine : on construit un mur d'enceinte autour de l'hôpital.

Ainsi, jusqu'en 1971, on vit là en autarcie, de la culture du jardin, avec des animaux. Chaque patient trouve sa place aux cuisines, à l'atelier, aux cultures.

En 1960, les Frères construisent le centre social, où il y a tout : piscine, théâtre, salle de sport. Pendant ce temps, les jeunes médecins laïcs du centre Ulysse Trélat voisin (« l'hôpital des incurables ») expérimentent la sectorisation : il faut sortir de l'hôpital, avoir une vie la plus normale possible.

Quand les deux structures ont fusionné, les soignants ont mis du temps à se mélanger.

Mais aujourd'hui à Lommelet, la statue n'est plus au centre du jardin.


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